Médecines Douces
Paris













Les nouvelles fatigues

''Où sont passées les bonnes vieilles fatigues d'antan ?
Quand on avait "bûcheronné" dur toute la journée dans la forêt,
ou tiré sur les filets sur la mer démontée,
ou porté sur ses épaules les lourds sacs de blé.
Où sont passées les bonnes vieilles fatigues d'antan ?
On rentrait le soir dans sa chaumière, épuisé,
après avoir absorbé un maigre brouet,
on s'étalait sur sa couche de tout son long pour ronfler.
Où sont passées les bonnes vieilles fatigues d'antan ?"



C'étaient des fatigues claires, nettes, précises, dont il était facile de déterminer la nature et la causalité. Mais les fatigues d'aujourd'hui – elles sont devenues le sujet n°1 des plaintes dans tous les cabinets thérapeutiques –, quelle complexité ! Rien à voir entre la fatigue de l'ouvrier du bâtiment qui travaille 12h par jour, corvéable à merci, mangeant mal, dormant mal dans des foyers de banlieues insalubres, et la fatigue de ce jeune cadre informaticien assis toute la journée, seul devant son écran d'ordinateur pour démêler les bugs informatiques; rien à voir entre la fatigue de cette femme qui vient de prendre sa retraite et se retrouve en tête à tête tous les jours face à un mari acariâtre qui s'ennuie, et la fatigue de cette mère célibataire qui se débat seule entre son travail, l'éducation de ses enfants, les tâches ménagères et ses amants de passage ; rien à voir entre la fatigue de cette jeune femme spasmophile depuis l'adolescence, puis diagnostiquée fibromyalgique avec des douleurs partout et une immense fatigue chronique qui lui empêche toute activité, et la fatigue de ce jeune homme dépressif depuis de longues années et qui se traîne de médecin en médecin avec pour unique consolation sa dose d'antidépresseurs... Ces fatigues nouvelles, omniprésentes et multiformes, sont devenues la “bête noire” des thérapeutes qu'ils soient médecins ou “psys” et les moyens de combat, centrés autour des antidépresseurs, des psychodynamisants, des somnifères et des compléments alimentaires, quand il ne s'agit pas des excitants ordinaires (café et cigarettes) ou illicites (les amphétamines et ses dérivés), apparaissent bien dérisoires face à la “bête” qui, comme une hydre de la modernité, étend inexorablement ses tentacules, surtout sur la grande ville.

Alors que faire ? D'abord, ne rien faire. Juste prendre le temps de la réflexion, face à ce monstre qui nous dévisage de ses yeux mornes et plombés. Pour cela, nous commençons à être armés dans ce journal, grâce aux outils intégratifs dont nous disposons et dont je vous parle déjà régulièrement depuis longtemps. Il y a, en particulier, ces fameux schémas intégrateurs, capables de faire la lumière par en dessous, pour unifier l'apparente complexité des phénomènes en les structurant. Je veux parler en premier, du schéma des sept dimensions principales de tout être humain (physique, émotionnelle, mentale, sociale, énergétique, spirituelle et de pleine conscience). Ensuite, il y a les quatre quadrants de Ken Wilber dont je parle dans ce numéro (cf. p 46), dont l'intérêt est de relier l'aspect individuel de toute chose avec l'aspect collectif, social et culturel, et cela dans une perspective évolutive. Alors, appliquons ces outils pour tenter de comprendre nos nouvelles fatigues, un peu comme si nous voulions d'abord “apprivoiser la bête” à la lumière de sa compréhension, sans bien sûr prétendre à l'exhaustivité, ni aux certitudes, tellement le sujet est complexe.
Première remarque : les vieilles fatigues d'antan n'ont pas disparu. Elles se sont transmuées en ces terribles fatigues dont souffrent encore les 2/3 de l'humanité, dans ce qu'on appelle la grande pauvreté, c'est-à- dire des êtres humains vivant dans des sociétés non technicisées, basées sur des rapports de force violents, où le peuple, sans aucun droit, corvéable à merci, sert les intérêts des castes nanties au pouvoir. Il s'agit là, de la fatigue du corps physique surmené, aggravée par les mauvaises conditions alimentaires et d'habitation, si bien que ce corps affaibli, usé prématurément, succombe aux épidémies, avec une espérance de vie limitée. Cette fatigue est malheureusement présente aussi dans nos sociétés d'abondance, il suffit de prendre le RER parisien, au petit matin, pour le comprendre et c'est un des grands scandales de l'humanité à l'aube de ce XXIe siècle. Tant que celle-ci n'aura pas éradiqué cette grande fatigue millénaire, due à l'exploitation de l'homme par l'homme, dans des systèmes sociaux obsolètes, l'humanité ne pourra pas vraiment se dire humaine, au sens de ce qui pourrait faire sa grandeur.

Passons aux nouvelles fatigues, celles que nous rencontrons si souvent dans l'antre de nos cabinets thérapeutiques. Alors que les fatigues physiques de l'ancien temps étaient des fatigues du manque (manque de technologie, manque de nourriture, manque de sommeil, etc.), les fatigues nouvelles sont des fatigues du “trop plein”, on pourrait dire de “l'obésité”, au sens physique et symbolique du terme. Trop plein de nourritures et de technologies, si bien que le corps physique, gavé, s'affaiblit à force d'inactivité ; trop plein des émotions dues principalement au contexte stressant de la vie urbaine et surtout trop plein du mental par la surinformation généralisée qui tourne à l'informe, relayée par les dramatisations émotionnelles. Les trois corps principaux composant notre individualité (physique – émotionnel – mental) sont “obèses” et nous n'en pouvons plus de les traîner sur les trottoirs gris de la grande ville, le portable en permanence à l'oreille – merci David Servan-Schreiber, études scientifiques à l'appui, d'avoir enfin réussi à susciter un débat public en France sur les dangers de cet engin, quand il est utilisé n'importe quand, n'importe comment, et dont les ondes maléfiques sont sûrement un facteur de plus, à mettre au compte de nos fatigues saturées d'informations et de technologies!

Mais il y a d'autres raisons à cette pandémie de fatigues. Continuons notre revue des différentes dimensions de l'être humain et passons à la dimension sociale, c'est-à-dire le contexte familial, professionnel et les relations avec ses semblables. Quelle crise ! Et comme c'est fatigant de vivre une période de crise qui n'en finit pas ! En premier chef, est pointé du doigt l'hyperindividualisme d'un système social basé sur la consommation à outrance de chacun, pour les marges de profits de quelques-uns, au prix d'un émiettement social jamais égalé. Alors s'élève l'antienne des grandes solitudes désespérantes jusqu'à l'épuisement, car l'échange solidaire entre les êtres humains – le principal antidote de la fatigue – a disparu. Cet émiettement individuel de la société de consommation dont le seul objectif est le plaisir égotique, éphémère, entraîne aussi cette course fatigante et addictive du “toujours plus” : “travailler plus, pour gagner plus pour consommer plus, pour courir plus...” : belle perspective sociale, épuisante nerveusement, mais surtout si pauvre de sens ! Il n'y a pas plus fatigant qu'une vie dénuée de sens ! Je vois souvent arriver dans mon cabinet ces jeunes cadres trentenaires, à la vie lisse et sans trauma, mais il y a dans leurs yeux une espèce de lassitude quand ils me parlent de leur vie, une fatigue de l'absence de sens profond que leur propose ce système, avec pour seul antidote les sempiternels antidépresseurs.
Quant à la dimension spirituelle, n'en parlons pas, elle est pour ainsi dire inexistante, c'est une coquille vide, après la désaffection justifiée des vieilles religions de l'ancien temps, trop compromises avec les pouvoirs temporels, après la mort de Dieu proférée par Nietzsche, accentuée par Marx puis par Freud et repris à l'unisson par la modernité laïque, matérialiste et scientifique. Mais, la religion et plus généralement la spiritualité, faisaient du bien à l'être humain. Je pense qu'elle avait un rôle antifatigue meilleur que n'importe quel antidépresseur, donnant à l'âme humaine une sorte de nourriture né-cessaire à son équilibre. Il n'y a qu'à se promener en Inde, dans les campagnes, pour comprendre cela. Comment se fait-il que des êtres humains, vivant dans des conditions de vie si difficiles, avec tant de raisons d'être fatigués, ont le visage si beau, le regard si clair et si vif et la joie au plus profond d'eux-mêmes ? Certes, il y a les liens de solidarité du système social traditionnel, mais il y a aussi, pour sûr, le ressourcement quotidien de cette reliance à l'Absolu, qu'on l'appelle Dieu, l'Énergie, la Vacuité Lumineuse, le Soi ou tout autre mot.

La compréhension de ses multiples facettes a-t-elle réussi à amadouer la “Fatigue” ? Peut-être... Elle semble nous remercier d'avoir pris un temps d'arrêt pour essayer de la comprendre. Elle ne supporte plus cette inconscience humaine, affolée et combative, qui, avec ses dérisoires armes (médicaments et autres drogues), voudrait l'éradiquer. Alors, elle renaît sans cesse de ses cendres, en prenant de nouvelles formes comme la fibromyalgie et la fatigue chronique. Mais la compréhension, même si elle est multidimentionnelle, ne suffit pas. Il faut faire quelque chose, avec l'intention d'agir avec douceur, de manière globale et intégrative.
Parcourons de nouveau les six di-mensions principales de notre individualité, mais cette fois dans une perspective pragmatique à visée thérapeutique, en sachant bien sûr qu'il est impossible d'être exhaustif.
Le corps physique fatigué, obèse, suralimenté, immobile et inactif devant ses mirages virtuels, il faut le vider : le vider de ses toxines, de ses déchets, de ses stases, de ses graisses et de ses sucres, le vider en le faisant bouger énergiquement. Quel est le conseil de simple bon sens que je donne si souvent aux fatigués ?
« Faites du sport ! Un sport que vous aimez bien sûr, car le plaisir est aussi un antidote important de la fatigue. Et si vous n'aimez pas le sport, marchez, marchez au moins une heure par jour, d'un rythme soutenu et en pleine conscience ! » Quand se surajoutent dans ce pauvre corps, les tensions émotionnelles et mentales, soit du stress quotidien, soit d'un passé traumatique lointain, je conseille la “catharsis” quotidienne psychocorporelle, c'est-à-dire des méthodes psychothérapeutiques basées sur les travaux de Wilhem Reich, qui sollicitent fortement le corps pour exprimer toutes les émotions refoulées et retenues sous forme de tensions. Encore une fois, le maître mot c'est “vider”. On pourrait comparer ce vidage quotidien antifatigue, à un passage obligé par les “WC psychocorporels émotionnels” (physique – émotionnel – mental). Mais, comme “la nature a horreur du vide”, il faut ensuite, dans une 2e phase, remplir ce vide par quelque chose de positif, afin de régénérer ces trois corps fatigués. Pour le corps physique, il faut soigner son hygiène de vie par l'activité physique quotidienne et surtout par une alimentation saine basée sur l'équilibre et la frugalité. Pour les corps émotionnel et mental : les nourrir par les relaxations, les visualisations positives, les croyances porteuses, et par des techniques comme le qi gong, le yoga et la méditation de la pleine conscience. Dans le qi gong – nous sommes dans la dimension énergétique – il s'agit d'offrir au corps une relaxation de-bout, toujours nourrissante (comme toute autre forme de relaxation), mais en se branchant par la conscience sur le corps énergétique (le double du corps physique), afin de le relier aux énergies essentielles de la Terre et du Ciel et de conscientiser l'alchimie de cette union dans les principaux centres énergétiques, situés dans le ventre, le cœur et la tête (qu'on les appelle les chakras ou de tout autre nom). Dans le yoga, très puissant aussi pour défatiguer, c'est un travail énergétique sur des postures dynamisantes accompagnées de la respiration consciente.

Au sujet de la dimension spirituelle de la fatigue, il me semble intéressant de parler succintement de la méditation par la pleine conscience. Il s'agit de proposer à ceux qui sont intéressés, une technique simple, capable de remédier au grand vide actuel de la dimension spirituelle, et cela dans un contexte laïque, c'est-à-dire débarassé des oripeaux des traditions religieuses et spirituelles, souvent ésotériques, avec leur cortége de prêtres, de maîtres, de gourous, de lamas etc., pour lesquels beaucoup sont réticents et lassés. Il s'agit de prendre un temps de silence et d'immobilité, chez soi ou tout autre part, pour arrêter la course habituelle des occupations quotidiennes orchestrées par le mental, afin d'ouvrir un espace intérieur de paix, de calme, de détente, accessible à tout le monde. Progressivement, en se servant éventuellement de quelques lectures, il s'agit de cultiver cet espace intérieur, “la pleine conscience”, avec pour support la vigilance à l'instant présent et l'attention à la respiration naturelle. Voir sur www.psychotherapie-integrative.com , les pages consacrées à la pleine conscience, à Jon Kabat-Zinn, Charlotte Jocko-Beck, David Servan-Schreiber, Thierry Janssen, Eckhart Tolle et Krishnamurti, qui sont, pour moi, des guides pour l'émergence de cette nouvelle spiritualité laïque. Je pense qu'il s'agit d'un des meilleurs remèdes pour les grandes fatigues actuelles, quand celles-ci ne sont pas trop graves. Le mental, qui est à l'origine de cette course effrénée, épuisante à la poursuite des innombrables désirs égotiques, est obligé peu à peu, naturellement de se reposer et de lâcher prise dans cet espace intérieur de la conscience, qui ressemble à un grand champ de fleurs, infini, où les “chevaux fous” (c'est comme cela qu'on appelle le mental en Orient) peuvent enfin se reposer et se délasser.

Il reste la dimension sociale, grande pourvoyeuse des fatigues les plus graves. C'est un sujet délicat, car souvent l'individu n'a pas vraiment prise sur les systèmes sociaux, professionnels ou familiaux qui l'emprisonnent (le plus souvent inconciemment). Là, les pratiques tournent, entre autres, autour de techniques pouvant rendre l'individu plus responsable de ses communications et relations avec son entourage, afin de les rendre moins fatigantes. J'utilise principalement l'apprentissage de la communication non violente (CNV), mais aussi des techniques PNL et Gestaltistes. Quant à l'absence de sens de nos sociétés repues, fatiguées, en grand danger de cataclysme climatique, il faut travailler le retour des Valeurs, de la Mission que chacun porte en lui et qui demande de manière urgente l'engagement solidaire ( voir l'interview de Martine Laval dans ce numéro). L'Amour, l'Altruisme, la Compassion et toutes leurs déclinaisons ne sont jamais très loin et sont autant de cures de jouvence par rapport à ces fatigues accumulées, venant de la prédation généralisée de l'être humain en société, érigée en systèmes ...



Rédigé le 11/12/2016 à 22:42 modifié le 03/04/2017


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Tags : fatigue




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